"Ça ne sert à rien d'écrire..."

Publié le par Catherine Barbé Temple

Lundi 23 mars

Comme d’hab, j’ai commencé un article et ne l’ai pas achevé. Voici le début, je vais y ajouter rapidement la chute et ça ira pour aujourd’hui : rien publié encore en mars… honte, désolation et pfffffuuuiiitttt = pas grosse perte pour l’humanité, certes, mais ne pas hésiter à établir une relation entre le fait d’écrire quand même, et le résultat des élections, présentement.

Ça commençait par :

Mardi 17 mars ne pas écrire

« ça ne sert à rien d’écrire…

… des chroniques»[1]

Je le pense très fort, d’ailleurs il y a un mois que je n’écris plus rien du tout. Même les billets de course, j’ai du mal. Et ce matin, ce fut comme un électrochoc en écoutant[2] Christine Angot , auteur aussi, dans Libé, de la chronique sus-nommée. Elle m’avait échappé sans doute parce que dans le même mouvement, j’ai élargi à : ça ne sert à rien non plus de lire… Sauf Charlie, allez savoir pourquoi ? Peut-être qu’au fond de moi la petite voix soufflait : « Et eux alors, les survivants, ils se sont arrêtés de dessiner, eux ? Certes non, mais ils se sont posé la question quand même, eux aussi. Je précise tout de suite que le parallèle entre ces auteurs et moi s'arrête au questionnement sur la nécessité de produire une publication.

C. Angot rappelle dans l’interview en référence (note2) qu’elle a commencé à écrire quand elle a compris que parler ne servait à rien.

J’en suis seulement là. Pas rapide. Il est vrai que j’ai moins écrit qu’elle, du moins, pas publié autant. Moi qui revendiquais il y a peu encore d’être femme de parole ! Re-pfffffuuuiuiutttt !

Elle franchit un pas de plus : après tout, pourquoi faudrait-il que tout serve à quelque chose ?

Au moment où elle prononce ces mots, un grand frisson me traverse : la résurgence d’une pensée fugace à peine consciente ressentie lors d’une exposition artistique de village, peuplée de flâneurs du dimanche, apparemment inoffensifs[3] juste après le carnage de Mossoul. Soulevée par le même type de colère que le 7 janvier, j’étais prête à éructer une violente défense et illustration de la culture… Mais à la place, je me suis entendue murmurant : « C’est bien plus beau lorsque c’est inutile ». Régurgitée de je ne sais quelles profondeurs, l’ultime sentence de Cyrano, au seuil de la mort, comme une évidence, parole de vérité. Alors... :

Lundi 23 mars écrire quand même, un peu

Souvenez-vous 2015, année de poésie et de culture : le comble de l’inutile dans le village de France profonde où je passe de merveilleux moments à observer la nature humaine dans toute sa si singulière diversité. (Quelles richesses de l’âme, d’ombre et de lumière…)[4] Sans ironie aucune, même si ce qui advient dépasse souvent l'entendement, le mien du moins. L'univers de Silence[5] en donne une idée approchante. Bref! Un monde à partager !

[1] http://www.liberation.fr/societe/2015/03/06/ca-sert-a-rien-d-ecrire-des-chroniques_1215646

[2] http://www.franceinter.fr/emission-invite-de-7h50-christine-angot-le-fn-on-etait-tellement-mieux-sans-leur-pensee-degueulasse

[3] résultat du 1er tour des élections du 22/3/15 : sur 288 votants (sur 567 inscrits) = UMP 102;

FN 84; PS 75; DG 18 . NULS 4; BLANCS 5.

[4] Revoir le résultat des élections…

[5] BD de Comès,

[6] http://www.lettres-et-arts.net/anthologie/mort-anthologie-textes-poemes/mort-cyrano-bergerac-rostand+156

Cyrano

Voici donc la dernière scène du Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, à la fois éloge de l'inutile et raccourci sur l'infinie complexité de l'humain :

DERNIER COMBAT : Acte V, scène 6[5]

CYRANO, [est secoué d'un grand frisson et se lève brusquement.]
Pas là ! non ! pas dans ce fauteuil !
[On veut s'élancer vers lui.]
Ne me soutenez pas ! Personne !
[Il va s'adosser à l'arbre.]
Rien que l'arbre !
[Silence.]
Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre,
Ganté de plomb !
[Il se raidit.]
Oh ! mais !... puisqu'elle est en chemin,
Je l'attendrai debout,
[Il tire l'épée.]
et l'épée à la main !

LE BRET
Cyrano !

ROXANE, [défaillante]
Cyrano !

[Tous reculent épouvantés.]

CYRANO
Je crois qu'elle regarde...
Qu'elle ose regarder mon nez, cette Camarde !
Il lève son épée.
Que dites-vous ?... C'est inutile ?... Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès !
Non ! non, c'est bien plus beau lors
que c'est inutile !
Qu'est-ce que c'est que tous ceux-là !- Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge ?
[Il frappe de son épée le vide.]
Tiens, tiens ! -Ha ! ha ! les Compromis,
Les Préjugés, les Lâchetés !...
[Il frappe.]
Que je pactise ?
Jamais, jamais ! -Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas ;
N'importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
[Il fait des moulinets immenses et s'arrête haletant.]
Oui, vous m'arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J'emporte malgré vous,
[Il s'élance l'épée haute.]
et c'est...
[L'épée s'échappe de ses mains, il chancelle, tombe dans les bras de Le Bret et de Ragueneau.]

ROXANE, [se penchant sur lui et lui baisant le front]
C'est ?...

CYRANO, [rouvre les yeux, la reconnaît et dit en souriant]
Mon panache.

RIDEAU…

Mais non, je ne vais pas m'arrêter là...

Publié dans JOURNAL

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