A propos de Moire, déesse éponyme

Publié le par Catherine Barbé Temple

Moire 1 © XT
Moire 1 © XT
Moire, de la culture à la couture, il n’y a qu’une aiguillée[1]

Présenter la Moire n’est pas une mince affaire. Il me faut repartir très loin en arrière, chez les Grecs, dans les textes les plus anciens qui nous soient parvenus, et parmi les plus connus : Homère, Hésiode, les Tragiques, ce qui balaie plusieurs siècles .

1)¨Au début de son histoire, le nom ancre la commune moire dans l’abstraction. Ce n’est que plus tard qu’elle prend forme concrète, se diversifie, se divise (en trois). Les grandes lignes de l’évolution, appuyées par quelques références suffiront à tracer les contours d’un personnage unique dont les facettes se différencient progressivement.

Quelle incidence ces métamorphoses vont-elles avoir vont avoir sur l’évolution du sens, et partant, sur la conception de l’idée de destin ?

Parlant d’Hécate, Hésiode écrit : « Sa moïra[2] est à la fois sur la terre et sur la mer inféconde (…) elle a (aussi) part aux privilèges qu’offre le ciel étoilé. [3]»

Premier élément signifiant : même les dieux reçoivent leur part d’un destin qui leur est supérieur. Le poète qui rapporte le fait cite ses sources : il est inspiré par les Muses (Théog., 22): il sait de quoi il parle ! On peut donc le croire.

Le poète donne ainsi au mot son premier sens, le plus général et encore laïque de « part, lot attribué par le destin »[4].

Quelquefois destin heureux, mais le plus souvent funeste, la moire commune peut aller jusqu’à signifier « rang, considération, juste part .[5]»

(Je laisserai pour l’instant de côté les sens élargis aux domaines politique, territorial…)

2) Bientôt Moira en même temps que la majuscule prend ses lettres de divine noblesse : elle figure à elle seule la Destinée, personnifiée notamment comme déesse de la mort ou du malheur : assimilée à l’Erinye, la vilaine mouche jetée, pour plusieurs générations, aux trousses de qui transgresse la loi divine, par exemple chez Homère (Il. 24,209) et Esch., Eum.334, 956 sqq.). Les dieux, Zeus compris, eux-mêmes sont toujours soumis à son diktat (Hérodote, 1,91).

3)Dans un troisième temps, suivant une évolution un peu similaire à celle de la Grande Déesse Mère, la figure de Moire se différencie : la sainte trinité est inventée… au féminin. C’est désormais des trois Moires que chacun reçoit sa part destinale. Elles seraient filles de la Nuit chez Hésiode (Théog., 217sq) ou de Zeus et Thémis (Ibid., 903 sqq) !

L’être singulier « Moire » disparaît, chacune des déesses se dotant d’un nom personnel, à cette étape d’individualisation : Atropos, Clotho, Lachesis. Et la représentation se fait métaphore : dans l’atelier des Moires, chacune pointe à son poste : la première file, présidant à la naissance, la deuxième enroule le fil de la vie, la troisième identifiée à la mort, coupe le fil de l’existence.

Les dieux, s’il peuvent désormais retarder un peu l’échéance fatale pour leurs héros préférés restent néanmoins impuissants à contrer l’action de la coupeuse. Référence à ajouter.

Parallèlement, Hécate dite trivia[6], déesse des carrefours et des dépotoirs, les grandes déesses mères, Déméter… subissent des évolutions identiques.

Quelle peut être la finalité de ce processus dans l’histoire et de la conscience de l’humanité ?

L’œil de Moire : Moire une et multiple, aujourd’hui riche de l’expérience (sémantique) retracée rapidement ci-dessus, pose son regard à la fois acéré et distancié sur l’humanité : "Mais Kes kes kes kes ?"

J’aime en effet à la voir en ce joli rapace venu un soir d’hiver me visiter.

A suivre…

[1] Voir page « éditorialement parlant »

[2] Je garde à dessein le mot grec.

[3] Théogonie, 413 sqq, trad. P.Mazon, Belles lettres, 1972

[4] Dictionnaire grec-français, Magnien, Lacroix, Belin, 2002.

[5] Ibid.

[6] Littéralement : ‘trois chemins’

Publié dans INCIPIT

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